Une armoire aux portes ouvertes, laissant apparaître un monceau de vêtements dans un désordre indescriptible. S'y côtoient jupes de toutes matières, allant du tulle au cuir, pantalons plus ou moins moulants, tops allant du largement décolleté à l'outrageusement ouvert sur tout le buste. Des robes, des vestes, des sous-vêtements, le tout mélangé de manière aléatoire. J'étais debout devant ma glace, seulement vêtue d'un soutien-gorge en dentelle blanche ne soutenant ni ne cachant pas grand-chose et d'un string assorti. Doucement, mes doigts caressaient la peau d'ivoire recouvrant mon ventre plat. Pilot et moi avions prévu une soirée de débauche au Target Store, histoire de nous détendre dans un climat des plus tendus. De l'alcool, de la drague, de la drogue pourquoi pas. Du sexe gratuit, sans me demander sans cesse si le moment était le bon pour sortir mon arme et porter le coup fatal.
Je me tournai vers mon armoire, scrutant avec impuissance le capharnaüm qui siégeait dans mon armoire. Je réussis à extraire tant bien que mal des vêtements appropriés. Une paire de bas résille noirs, une minijupe en tartan sombre, un top blanc simple, classable au niveau « trop décolleté ». En matière de provocation, j'avais déjà fait pire. Bien pire. Toujours devant mon miroir, je coiffai méticuleusement mes cheveux afin de leur donner un asmect un peu négligé, un peu effarouché, en somme sauvage. Badigeonnant mes paupières d'eye-liner, je savourais à l'avance ma soirée. Avec Pilot, je ne pouvais que m'amuser. Souffler un coup, pourquoi pas tirer un coup et rentrer complètement saoule et défoncée à l'aurore. Bref, un bon programme. Après les yeux, je m'attaquai à mes lèvres. Je badigeonnai ma bouche de baume carmin, jetant un coup d'oeil à ma montre. Pas encore en retard.
« Merde ! »
Mes mains sur lesquelles mon attention n'avait plus été concentrée l'espace d'une demi-seconde avaient décidé de faire un tour du côté de mon menton. Résultat : une grande trace rouge parcourait l'espace entre ma bouche et la fin de mon visage. Quelques jurons de plus, des pas rageurs à travers mon studio et j'étais revenue à ma place, tentant de réparer les dégâts à l'aide de démaquillant. Je me félicitai intérieurement de ne pas avoir mis de fond de teint. En même temps, j'avais la chance d'avoir une peau naturellement blanche et le stade boutonneux de la puberté n'était bien heureusement qu'un mauvais souvenir. Le désastre fut oublié quelques secondes plus tard. Je soupirai. Je m'étais imposé une véritable pression pour un événement ridicule et banal. Je devais décompresser. L'atmosphère belliqueuse me tapait sur les nerfs, maintenant que j'étais au courant que certains sorciers étaient prêts à en découdre.
Je devais chasser ces inquiétudes de mon esprit. M'emparant à la va-vite d'un petit sac contenant tout de nécessaire – portable, clefs, argent, préservatifs, couteau –, j'enfilai des bottines noires à talons compensés et sortis de chez moi, claquant la porte.
Bien qu'il fît froid dehors, je ne sentais pas la morsure de l'hiver sur ma peau en partie dévoilée. La fièvre du samedi soir avait pris possession de mon corps. Il faisait nuit, mais les éclairages urbains brunissaient l'atmosphère. Je n'avais pas peur, de toute manière. J'étais habituée à sortir le soir. Les rues étaient pleines de jeunes fêtards. Je pris le métro, et quelques minutes plus tard, j'arrivai devant le bar. De la rue, on pouvait entendre la musique qui retentissait à l'intérieur de l'établissement ainsi que la rumeur des conversations. Le Target Store semblait bondé.
Je me faufilai à l'intérieur, écrasant plus ou moins volontairement quelques pieds. Un groupe jouait au fond du bar une musique aux accents punk, entraînante. L'endroit était sombre et bruyant. J'aimais ça. Scrutant la foule, je repérait Pilot qui était déjà assise. Je me dirigeai vers le comptoir et demandai un mojito. Quand mon cocktail m'eut été servi, je le pris en main et allai m'asseoir en face de Pi. Je lui fis la bise, souriante, et lui demandai :
« Comment vas-tu Pi ? »

asmodea & pilot

« C'est bon j'me casse. » La phrase était sans appel et comme pour accompagner les gestes à la parole, elle laissa tomber le micro sans même prendre la peine de le remettre sur son pied. Elle enjamba les fils qui traînaient là et sans même prendre la peine d'adresser un regard à Black Jack se dirigea vers la porte de sortie du Spitfire. Elle en avait marre de ces remarques, marre de ces piques, marre de ces mimiques qui l'agaçaient et plus que tout, elle en avait marre de recevoir des ordres de sa part. Elle n'était pas sa putain de propriété alors s'il avait besoin de faire son petit chef, de se sentir puissant à commander de tous les côtés, très bien qu'il fasse ça avec le reste du groupe mais en tout cas, ça sera sans elle. En plus, elle avait d'autres plans de prévu que celui de rester enfermer dans un ancien pub qui sentait l'humidité et le renfermé. Alors qu'elle avait posé la main sur la poignée de la porte, elle entendit vaguement une remarque du descendant Dolohov et sans comprendre si c'était un reproche ou une menace laissé dans sa direction, elle lui adressa un geste obscène avant de franchir la porte et de s'engouffrer sans attendre dans l'allée des Embrumes. Elle marcha un long moment et d'une démarche assez rapide pour mettre le plus possible de distance entre elle et lui en un court laps de temps. Quand elle estima avoir mis assez d'espace entre eux, elle s'autorisa à ralentir le pas et s'alluma une cigarette. Elle regarda sa montre sans essayer de penser à Benjen et même s'il était encore un peu pour se rendre sur le lieu de rendez-vous, décida tout de même d'y aller. Après tout, elle n'avait rien de mieux que d'attendre à présent, autant le faire à un endroit un peu moins glauque que le bout de l'allée des Embrumes.

Un craquement sinistre plus tard, elle était dans la ruelle qui bordait le Target Store, à l'abri des regards indiscrets. Ce n'est pas parce qu'elle avait honte de sa nature profonde, au contraire elle l'assumait avec grand plaisir à qui voulait bien l'entendre, mais ce soir elle souhaitait éviter les embrouilles, juste passer une bonne soirée et rentrer le plus tard possible et le plus alcoolisé possible pour reculer l'inévitable engueulade qui allait survenir quand elle allait rentrer dans l'appartement qu'elle partageait avec Black Jack. Elle secoua la tête et un sourire désabusé marqua ses lèvres. Alors que cela faisait déjà plusieurs de mois qu'elle vivait avec lui, elle n'arrivait toujours pas à se dire « notre appartement ». Cela officialisait trop les choses et elle voulait garder plus que tout son indépendance. Du moins ce qu'il en restait. Un soupir franchit ses lèvres et elle remonta le col de son manteau avant de se rendre à l'entrée du bar et d'y rentrer sans aucun problème. Il fallait dire que moulée dans sa robe noire et blanche, dévoilant les trois quarts de ses jambes et ses bottes qui elles, cachaient sa baguette, il était difficile de lui dire non. Immédiatement la musique lui agressa les oreilles mais d'une bonne façon, c'était comme plonger dans une piscine glacée pendant un après-midi étouffant. Au début la pression est trop forte et au final on finit par s'y habituer pour ne plus vouloir en sortir. Se dirigeant vers le bar, elle réussit à accrocher le regard du serveur et lui demanda « Un whisky p... » et alors qu'elle allait ajouter un « pur-feu » comme à son habitude, elle se mordit la langue en repensant qu'elle était dans un bar moldu et rattrapa sa bourde d'un « ... por favor ? »

Au moins quelqu'un avait rigolé. Pilot en attendant ruminait en silence la soirée pourrie qu'elle passait. Le whisky qu'elle avait commandé était dégueulasse, à peine plus fort qu'une bièraubeure, et elle avait presque envie de rentrer chez elle pour se prendre la tête avec son bourreau de batteur plutôt que de s'ennuyer comme ça. Mais elle avait promis à Asmodea et elle savait que quand elle ferait la sulfureuse rouquine, tout irait mieux. Du moins, elle l'espérait. Comme si elle lisait dans ses pensées, la jeune femme fit son entrer et planta deux bises sur les joues de la blonde avant de lui demander. « Comment vas-tu Pi ? » La jeune femme ne pût s'empêcher d'esquisser un sourire avant de finir cul-sec son verre dans une grimace. « On va dire que j'avais vraiment besoin de cette soirée. » Elle prit son verre et se leva, comme si elle allait en commander un autre au bar mais en passant à côté de la jeune femme, elle frôla son bras du bout de ses doigts, glissant ses phalanges sur son avant-bras tout en lui chuchotant. « Et j'ai bien l'intention d'en profiter. » Et avant de lui laisser le temps de comprendre, elle referma sa main sur son poignet et abandonnant son verre, la força à la rejoindre sur la piste de danse. Elle n'avait même pas eu le temps de boire son mojito mais la blondinette n'en avait rien à faire. Elle voulait penser à autre chose, vite, maintenant, tout de suite. Elles pourraient se saouler plus tard. Là, elle avait besoin de danser comme si personne ne la regardait, ni la jugeait.

Enfin libre de nouveau.